Pourquoi les formateurs ne peuvent-ils plus ignorer l'Intelligence Artificielle en 2025 ?
De Numéro 5 (dans Short Cut) à Optimus de Tesla, et de HAL (dans 2001, Odyssée de l’espace) à IBM Watson et à ChatGPT-o1, ces 2 dernières années ont permis de donner vie, peu à peu, aux scénarios des films de Science-Fiction qui appartiennent à ce que nous appelons maintenant la « pop culture ». Jusqu’alors discrète (écriture prédictive, classement des e-mails, reconnaissance de caractères, aide au pilotage des véhicules, etc.) l’intelligence artificielle a fait une irruption fracassante dans notre vie professionnelle en novembre 2022, avec la mise à disposition du grand public, de l’IA générative. En avril 2024, un rapport du Boston Consulting Group indique que, sur un échantillon représentatif de personnes interrogées dans 21 pays, 80% du panel connaîtrait l’IA et 25% l’utiliserait (Rapport BCG d’avril 2024 Consumers know more about GenAI than business leaders think).
Une étude de l’IFOP (Les Français et les IA génératives, Baromètre 2024) révèle que 32% des Français utiliseraient l’IA générative, la majorité (57%) dans le cadre professionnel. Dans un environnement marqué par l’adoption croissante de l’IA générative, les professionnels, et parmi ceux-ci les professionnels de la formation continue semblent encore rétifs à son usage. Pourtant, une utilisation raisonnée de ces outils permettraient aux ingénieurs pédagogiques et aux formateurs de bénéficier d’une aide précieuse, notamment pour la conception de contenus. De plus, les risques qui semblent freiner l’utilisation de l’IA en France pourraient largement être levés grâce à une acculturation de la profession en la matière.
L’apparition progressive de l’IA, de la conception à l’accompagnement pédagogique
Si 18% des répondants français utilisent l’intelligence artificielle générative, (contre 25% en moyenne des 21 pays interrogés dans l’étude BCG pré-citée), 31% d’entre eux se disent préoccupés par son usage (contre 15% en moyenne des 21 pays interrogés). Dans le secteur de la formation, en revanche, les données ne sont pas nombreuses. Le site officiel du Ministère des Finances relaie, depuis septembre 2024, une information émanant du « Siècle Digital » - étude « Digital Education Council Global AI Student Survey 2024 » réalisée auprès d’un échantillon d’universités dans 16 pays - pour indiquer que 86% des étudiants utiliseraient l’IA générative pour leurs études.
Rien, en revanche, concernant la formation professionnelle. L’expérience personnelle de la perception négative de l’IA générative par la profession n’étant pas, statistiquement, représentative, il n’en sera pas fait mention. Les usages qui vont être cités ci-après constituent donc des davantage des recommandations.
Recherche d’informations préalablement à la conception
Les différentes études faisant état de l’utilisation de l’IA générative révèlent que plus du tiers des usages constituent des recherches avancées sur internet. En effet, la possibilité d’effectuer une requête en langage naturel - et même de manière vocale depuis quelques semaines -, c’est-à-dire de la même manière qu’on le ferait en discutant avec un collègue, et non à l’aide de mots-clés saisis dans un moteur de recherche, facilite grandement les interactions avec l’outil de travail.
Par exemple, si on souhaite trouver des exemples de déroulés pédagogiques sur le thème de l’IA, une recherche Google de type « déroule pédagogique IA exemple » permet d’obtenir… « des exemples concrets d’utilisation de l’IA en classe » !
La même requête avec ChatGPT version 4-o permet d’obtenir le résultat « Voici un exemple de déroulé pédagogique pour une formation sur l’intelligence artificielle (IA), adaptée pour un public de professionnels souhaitant intégrer l’IA dans leurs pratiques ou leur organisation. Ce déroulé peut être ajusté en fonction des besoins du public cible (…) » avec une proposition de déroulé pédagogique détaillé en 2 jours et 4 séquences. Ce résultat constitue un véritable exemple de déroulé pédagogique.
Conception de contenu rédactionnel
Comme son nom l’indique, l’IA générative, à l’inverse d’autres types d’intelligences artificielles, permet de « créer » du contenu grâce aux informations dont elle dispose (base de données d’entraînement, base de données et requête de l’utilisateur). Ainsi, ce type d’intelligence artificielle apparaît particulièrement adapté pour concevoir du texte à la demande de l’utilisateur : synthèse de l’entretien d’étude de besoin avec le commanditaire, compte-rendu de réunion de l’équipe pédagogique, déroulé pédagogique détaillé, contenu d’une séquence de formation, etc. Que ce soit avec ChatGPT (Open AI) ou Claude (Anthropic), pour ne citer que celles-ci, l’ingénieur pédagogique n’aura qu’à fournir un modèle et des indications pour contextualiser sa requête. L’IA se chargera de la conception du contenu textuel en suivant les consignes données.
Génération de médias, de présentations et de e-learning asynchrone
De la même manière, l’ingénieur pédagogique et le formateur pourront se faire aider par l’IA générative pour illustrer ou mettre en forme leurs contenus pédagogiques. Des outils comme Dall-E, Midjourney ou Flux1 permettent de créer des images en quelques secondes, dans le style souhaité par l’utilisateur. Attention toutefois à ne pas demander à l’IA d’ajouter du texte dans l’image : le texte étant géré comme un élément de l’image et non pas comme un ensemble cohérent de lettres, le résultat n’est pas toujours satisfaisant. Pour l’aide à la création de contenus de type diaporamas d’animation, l’outil
Copilot de Microsoft - adossé à OpenAI - permet également de faciliter la tâche du formateur. De même, en matière de e-learning : certaines plateformes de LMS proposent désormais de l’aide à la création de contenus (génération de modules assistée) grâce à l’IA. Sans remplacer l’ingénieur pédagogique, ces outils permettent de gagner du temps en remplaçant le travail de saisie de contenu par une requête formulée à un assistant en langage naturel.
Accompagnement et engagement grâce à des assistants et « formateurs virtuels »
Si le rapport BCG pré-cité mentionne que 66% des Français utilisent couramment des agents conversationnels ou chatbots, l’intégration de ces mêmes agents dans des parcours de formation professionnelle ne semble pas encore une pratique répandue. Pourtant, des plateformes de LMS proposent désormais ce service dit de « formateurs virtuels ». Ces services, de la même manière qu’AmeliBot sur le site de l’Assurance Maladie, permettent de répondre à des questions de premier niveau lorsque l’équipe pédagogique n’est pas disponible. Ainsi, l’apprenant dispose d’une « foire aux questions » interactive, ce qui permet de maintenir son engagement entre les séquences synchrones et de prévenir les ruptures de parcours.
Les enjeux liés aux usages de l’IA
Si 15% des personnes interrogées (Les Français et les IA génératives, Baromètre 2024, IFOP) utiliseraient l’IA pour effectuer des recherches d’informations sur internet, 73% des personnes interrogées dans cette même étude estimeraient ne pas disposer des connaissances suffisantes pour utiliser l’IA. Ces chiffres illustrent les difficultés que rencontrent les professionnels dans l’adoption de ces outils. Dans le secteur de la formation, les enjeux sont nombreux et concernent à la fois le formateur et l’apprenant.
Les enjeux pour le formateur et l’apprenant
Parmi les enjeux pour le formateur comme pour l’apprenant figurent le risque d’erreur et le risque de plagiat. Le risque d’erreur, tout d’abord, apparaît évident lorsque l’IA est utilisée pour effectuer des recherches sur internet. En effet, il est de notoriété publique que, pour trouver l’orthographe exacte d’un mot, rien ne vaut un bon vieux dictionnaire (matérialisé ou dématérialisée), la recherche sur internet ne faisant qu’illustrer les 1001 manières le plus courantes d’orthographier le mot en question. Lorsqu’une intelligence artificielle générative va effectuer une recherche, elle sera donc confrontée au même risque. Le contenu généré sera donc conçu sur la base d’informations fausses.
Le risque de plagiat, ensuite, constitue un des risques majeurs pour les utilisateurs d’IA génératives. En effet, l’IA produit du contenu grâce à sa base de données d’entraînement - dont le contenu nous est totalement inconnu, de la recette de la bouillabaisse jusqu’aux résultats sportifs des plus improbables équipes de baseball du fin fond de l’Arkansas - et grâce aux informations que vous lui fournissez et qu’elle va rechercher, sur la base de vos consignes. Elle génère ce contenu « à la manière de ». De quoi ? de qui ? A moins de vous assurer des sources utilisées, et de vérifier les contenus créés avec des outils de détection de plagiat, rien ne vous garantit que vous respectez le droit de la propriété intellectuelle lorsque vous « créez » du contenu.
Les enjeux pour le formateur
Comme cela a été mentionné, les contenus générés par l’IA le sont sur la base de données existantes, de modèles, de schémas. Imaginez que votre modèle d’IA a été programmé et entraîné par un professeur de Science Politique qui adore écrire en respectant des plans rédigés avec une problématique identifiée et un « balancement circonspect » de type « oui, mais ». Et bien, à chaque fois que vous interrogerez votre IA générative pour lui demander des suggestions pour la rédaction d’un contenu, celle-ci vous proposera des textes articulés en deux parties, avec une thèse « oui » et une presque antithèse « mais » :
« La méthode AMDEC, une approche intéressante pour analyser la criticité des risques, mais dont les limites sont nombreuses »
« L’ingénierie pédagogique, une discipline indispensable pour le formateur, mais encore insuffisamment répandue dans les organismes de formation français ».
C’est exactement ce qui se produit lorsqu’on utilise une IA générative : l’originalité de l’approche pédagogique comme du contenu ne peuvent en aucun cas être garanties. Pour une illustration plus complète, il a été demandé a Chat GPT-4o de rédiger un article comme celui que vous êtes en train de lire (le plan détaillé, le chapeau avec les exemples de films et de technologies, ainsi que le titre ont été intégrés à la requête) : le résultat peut être lu en ligne.
Les enjeux pour l’apprenant
Concernant l’apprenant, il apparaît évident que l’utilisation systématique de l’IA générative pourrait nuire à l’efficacité de l’enseignement. En effet, ne pas appréhender une connaissance ou une compétences et demander à l’IA de la mettre en œuvre ne mobilise pas les mêmes circuits en matière de cognition : la compréhension et la mémorisation ne sont pas garanties, mêmes si le « devoir » ou le cas pratique sont bien remis au formateur en temps et en heure. Et de la même manière que pour le formateur, si l’ensemble des apprenants a recours à l’IA générative toutes les productions finiront par se ressembler, puisqu’elles auront été générées avec les mêmes outils. Le formateur n’aura plus de production intellectuelle originale à corriger.
Pourquoi il est essentiel de s’acculturer et de se former pour la profession ?
Au travers des enjeux identifiés et du sentiment, largement partagé en France, de ne pas disposer des connaissances et compétences nécessaires pour utiliser l’IA générative, il apparaît indispensable, pour la profession, de s’acculturer et de se former aux usages de l’IA.
Un usage raisonné et fiabilisé
Ingénieurs pédagogiques et formateurs doivent désormais être à même de définir et reconnaître les sources fiables, ainsi que les modèles de langage adaptés aux usages. L’identification des sources fiables d’informations constitue la première étape pour un usage efficace de l’IA générative. En effet, pas de résultats fiables sans données fiables. Il convient donc, pour le professionnel de la formation, de connaître les sources permettant à l’IA de créer son contenu ou de les lui fournir. Par ailleurs, tous les modèles et outils d’IA ne sont pas équivalents selon le type de tâches à effectuer : le professionnel devra également arbitrer entre Claude et Perplexity, ou ChatGPT et LeChat pour obtenir la réponse la mieux adaptée à sa requête.
Une fois ces savoirs et savoir-faire acquis, il conviendra de sensibiliser les apprenants au moyen d’une mise à jour du référentiel de compétences de « apprendre à apprendre » en « apprendre à apprendre dans un environnement digital, avec IA ».
Un usage respectueux de la propriété intellectuelle
L’identification des sources fiables d’informations par le professionnel et l’utilisation de sources autorisées, ou leur utilisation dans le respect de la propriété intellectuelle (creative communs inclus) permettra de prévenir le pillage intellectuel. A titre d’illustration, 5% des 10 à 40 articles reçus chaque semaine par l’Office d'intégrité scientifique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) fait l’objet d’un rejet pour plagiat, un chiffre en constante augmentation depuis l’utilisation de l’IA générative.
Un usage respectueux de l’environnement
Parmi les freins à l’usage de l’IA générative figure le risque environnemental. En effet, si le Conseil Economique Social et Environnemental rappelle, dans un avis du 24 septembre dernier, que l’utilisation de modèles d’IA générative ne représente que 0,03% de la consommation électrique mondiale actuelle, des sociétés comme Google ont vu leurs émissions de CO2 augmenter de près de 50% en 4 ans avec le développement des modèles d’IA. C’est pourquoi le choix de modèles favorisant l’IA dite frugale se développe. Que ce soit Open AI avec ChatGPT 4o-mini ou Mistral 7B, les « petits modèles » de langages fleurissent désormais : moins gourmands en ressources, adaptés à des tâches plus spécialisés, ils sont également moins sujets aux « hallucinations ».
Le professionnel en formation pourra donc, à la fois, les utiliser mais aussi les recommander à ses apprenants pour un usage plus efficace et plus respectueux de l’environnement.
Conclusion
L’émergence de l’IA générative dans le quotidien professionnel des formateurs constitue un phénomène récent, mais bouleversant. En effet, si les atouts de son utilisation apparaissent nombreux, notamment pour l’aide à la création de contenus, les risques inhérents à ces usages freinent considérablement l’adoption de ces outils par la profession. C’est pourquoi une meilleure connaissance de l’intelligence artificielle par les ingénieurs pédagogiques et les formateurs apparaît fortement souhaitable : en s’acculturant et en se formant à l’IA générative, la profession pourrait en encourager un usage efficace, éthique et respectueux de l’environnement.
Lorsque 61 % des organisations françaises déclare souhaiter renforcer la formation de leurs collaborateurs à l’IA (AI Opportunity Report, nov. 2024 - Teamviewers) dans les 12 prochains mois… les formateurs ne peuvent plus ignorer ce sujet en 2025.
À propos de l'autrice : Stéphanie Ortis